SOUVENIRS D'UNE CHAMPAGNE LE PAYS REEL Par Roger DORSINVILLE Personne ne pense la Patrie. Elle est muette et douloureuse. Elle est surtout trs lasse. On s'agite beaucoup sur ce cadavre. L'agitation des vers aussi cre dans le charnier un semblant de vie. Mais c'est la vie des vers. On s'agite beaucoup et on croit que c'est la Patrie. Mais ce n'est pas la Patrie. Toute la terre des hommes, dit-on, est en folie. Folle est parti- culirement cette terre o l'homme noir, un jour, fiana l'esprance. La terre de l'homme noir roule dans le chaos avec les autres terres. Jamais temps n'aura t plus sombre, ni poque plus mau- vaise. En vain chaque matin l'Orient s'claire: l'homme ne sait plus voir. Soleil sur les fleurs, vent dans les feuilles, ruisseaux qui disent aux pierres et aux herbes des rives leurs ternelles et chantantes confidences: cela existe, et c'est la terre de l'homme noir. De mme le paysan de Kenscoff, les doigts enfouis dans le venture rouge des collins et le paysan de la Plaine, et les paysans de tous les mornes, et de toutes les planes, tous ceux, laborieux et patients, qui prennent les sentiers et les routes vers les petits jar- dins et vers les marchs, ou le Dimanche vers les offices et la ga- gure. Cela aussi existe. Et c'est a l'homme noir fianc l'esp- rance. Ce n'est pas ce que je suis. Ce n'est pas ce que vous tes. Cela aussi, si vous voulez, pour une trs petite part. Mais plutt le paysan et la paysanne sous le chaume et dans la boue. Et puis le portefaix, la trieuse, l'artisan, l'ouvrire des ateliers. Chaque trouble, chaque cri, moins encore, chaque parole, va jusqu'aux confins des montagnes, jusqu'aux limits o les mornes se confondent avec le ciel et au-del jusqu'aux limits des autres mornes, et au-del jusqu' la mer o dansent des barques de pcheurs, chaque mot a des repercussions infinies. Ils saisissent des bouts de propaganda, et l'interrogation, et la frayeur dansent dans leurs yeux.